Monday 26 February 2018

Vingt leçons de tango : Troisième partie : L’importance de la posture

Traduit par François Camus
Lire le texte original en anglais ici

En 2017 j'ai souligné mes 20 ans en tango en écrivant une série de 20 articles, ou leçons que j'ai apprises dans, à travers, ou au sujet de cette danse à la fois simple et complexe. Voici ma troisième « leçon ».

Leçon No. 3 : La posture est tout. Je l’admets, je suis pas mal obsédée par la posture. Étant une enseignante de tango et étant récemment devenue une enseignante de yoga, j’ajuste la posture (la mienne et celle des autres), j’observe la posture, j’étudie la posture et je pense à la posture tous les jours.

Vous n’avez pas à être aussi préoccupé par la posture que je le suis, mais avouons-le, si votre posture est mauvaise, votre étreinte en souffrira. Et si votre étreinte est mauvaise, votre connexion en souffrira. Et sans bonne connexion, qu’est le tango?

Pourquoi ne peut-on pas avoir une bonne étreinte sans une bonne posture? Eh bien, tout comme les bras sont liés au reste de notre corps, l’étreinte est liée à notre maintien. Et lorsqu’on dit "étreindre", on pense spécifiquement à nos bras et à nos mains, mais nous étreignons vraiment notre partenaire avec notre corps tout entier: mains, bras, épaules, dos, poitrine, tête – même la position de nos hanches, de nos jambes et de nos pieds contribuent à la façon dont nous tenons notre partenaire. Si votre tête est tenue trop vers l’avant, par exemple, elle peut pousser inconfortablement contre la tête de votre partenaire, provoquant des douleurs dans son cou ou un déséquilibre affectant en retour la façon dont il/elle nous tient. Si le haut de votre dos est arrondi et que vos épaules sont vers l’avant, votre poitrine va s’affaisser et votre partenaire sentira que vous vous retenez ou que vous le/la repoussez plutôt que de l’inviter vers vous.

Une bonne posture constitue une grande part d’une bonne technique, elle nous libère pour danser avec aisance et pour tenir nos partenaires confortablement. Alors, qu’est-ce qu’une bonne posture?

La posture réfère à la position dans laquelle vous tenez votre corps en position debout. Une bonne posture implique d’entraîner votre corps à se tenir debout, à marcher, à s’asseoir, à se coucher et, bien sûr, à danser dans des positions où le moins de tension est exercée sur les muscles et ligaments de soutien pendant les mouvements ou les activités dans lesquelles on doit supporter un poids.

La posture et l’alignement vont de pair et un bon alignement est essentiel au maintien d'une bonne posture. Alors examinons ce qui constitue un bon ou un sain alignement.

Illustration d'un bon alignement.
L’alignement fait référence à la façon dont la tête, les épaules, la colonne vertébrale, les hanches, les genoux et les chevilles s’enlignent les uns par rapport aux autres. Quand les professeurs de danse parlent de "l’axe" et de "garder son axe," ils parlent en fait de maintenir un bon alignement. Un bon alignement du corps vous aide à établir et à maintenir une bonne posture, laquelle sera excellente pour danser le tango aussi bien que pour votre vie en général, parce qu’il y aura moins de tension sur la colonne vertébrale. Quatre points principaux devraient être alignés quand on se tient debout. Partant du sol et allant vers le haut, ce sont:
la malléole latérale, ou le petit os que l’on a sur le côté extérieur de la cheville
le grand trochanter, ou le côté extérieur de la tête supérieure du fémur (l’os de la cuisse), située à l'articulation de la hanche.
l’acromion, ou le petit os situé sur le dessus de l’épaule
le méat auditif, ou trou de l’oreille

Maintenir l’alignement de ces points maintient la courbe en S naturelle de la colonne vertébrale. Vu de côté, les parties cervicale (supérieure) et lombaire (inférieure) ont une lordose, ou courbure vers l’intérieur, tandis que la partie thoracique a une cyphose, ou légère courbure vers l’extérieur. Les courbes de la colonne vertébrale fonctionnent comme un ressort hélicoïdal pour absorber les chocs, maintenir l’équilibre et faciliter l’amplitude des mouvements.

Exemple commun d'un 
mauvais alignement. 
Le cocxyx est rentré,  
rendant le centre 
de gravité et la 
tête trop vers l'avant. 
Ceci change les courbes 
naturelles du dos.
En tango, comme dans la vie quotidienne, il peut être difficile de maintenir une bonne posture et un bon alignement, spécialement si c’est nouveau pour nous.

Souvent les gens rentrent le coccyx, relâchant les muscles du bas du dos, aplatissant le creux lombaire et déplaçant le centre de gravité vers les orteils plutôt que de le conserver au-dessus de l’os du talon (lequel est le plus gros os du pied et conçu pour nous soutenir). Rentrer le pelvis crée de la tension sur les pieds, les genoux et la colonne vertébrale, ce qui est particulièrement problématique en tango parce que cela signifie que le pelvis, les jambes et les pieds se situent plus en avant que le haut du corps et vous serez porté à frapper les genoux de votre partenaire ou même à lui marcher sur les orteils (ou de vous faire marcher sur les orteils).

Plusieurs personnes tiennent aussi leur tête trop en avant, projetant le menton en avant (ce qui comprime les vertèbres cervicales) ou, comme c’est souvent le cas en tango, inclinant la tête vers l’avant, regardant vers le bas.

Garder la tête vers l’arrière en gardant le menton parallèle au sol et plaçant la tête au-dessus de la colonne vertébrale allonge la colonne cervicale tout en maintenant sa courbe naturelle. Cette position vous aidera à maintenir votre équilibre en dansant et vous empêchera de pousser votre tête ou votre visage contre celle de votre partenaire d’une manière invasive ou inconfortable.

La bonne nouvelle est que si on se pratique régulièrement à avoir une bonne posture et un bon alignement, on renforce progressivement les muscles requis tout en développant de nouvelles habitudes saines. Vient un jour où on réalise qu’on se tient correctement la plupart du temps, et même que la sensation est naturelle!

Une grande part du défi, une fois qu’on a trouvé le bon alignement, est de maintenir ces points alignés pendant qu’on est en mouvement. En tango, nous avons le défi additionnel d’avoir à maintenir notre alignement tout en bougeant et en tenant une autre personne. Que puis-je dire d’autre que la pratique rend parfait? La posture et l’alignement ne sont pas des choses à pratiquer une heure ou deux pendant un cours de tango. Ils doivent être pratiqués aussi souvent que possible pendant vos activités quotidiennes: assis à votre bureau, marchant sur la rue, attendant l’autobus, brossant vos dents et, bien entendu, en dansant.

Parlant de maintenir votre alignement tout en dansant avec une autre personne, je dis toujours à mes élèves de tango de ne pas sacrifier leur posture pour rien, ni personne. Cela signifie que vous ne vous contorsionnez pas pour exécuter un gancho mal placé et vous ne dansez pas courbé parce que vous êtes plus grand(e) que votre partenaire. Aussi, vous ne vous inclinez pas pour maintenir une étreinte rapprochée; si vous ou votre partenaire ne pouvez pas exécuter un mouvement en vous tenant droit dans une étreinte rapprochée, ouvrez l’étreinte ou n’exécutez pas le mouvement; ne sacrifiez pas votre posture.

Parlant d’étreinte rapprochée, il y a de légers sacrifices à faire dans l’alignement quand on danse dans un abrazo rapproché, style milonguero. Et quand je dis léger, j’insiste. Parce qu’on recherche une connexion physique entre notre torse et celui de notre partenaire, notre cage thoracique peut être légèrement en avant par rapport à notre pelvis. Toutefois, si on s’assure de maintenir nos hanches au-dessus de nos talons et qu’on n’avance pas notre tête, l’ajustement du haut du corps pour rejoindre notre partenaire sera minime, et devrait se réajuster automatiquement aussitôt qu’on relâche l’étreinte rapprochée. Si le guideur garde ses hanches au-dessus de ses talons, il ne devrait pas du tout s’incliner vers l’avant pour créer une étreinte rapprochée. C’est à la guidée de s’avancer pour trouver la connexion avec le guideur. Mais encore, si le bas de son corps est positionné correctement, l’ajustement à faire sera minime. Aussi, tout déplacement du torse vers l’avant devrait être accompagné d’un étirement du torse vers le haut, ce qui allongera la colonne vertébrale et nous empêchera de nous incliner d’une façon inconfortable et malsaine.

Bien sûr, tout ce travail sur la posture et l’alignement vous aidera à vous maintenir dans la vie avec moins de douleurs au dos et une meilleure santé. Améliorer votre posture et l’alignement pour le tango aura des bienfaits au-delà du plancher de danse.

La posture pourrait bien être l’élément le plus important de notre danse.

Mais encore, la musicalité est aussi super-importante.

Prochain article : Leçon no 4 : La musicalité est tout

Article précédent : Leçon no 2 : L’étreinte est tout

Tuesday 13 February 2018

Vingt leçons de tango : Deuxième partie : L’étreinte est tout

L'abrazo devrait inclure tous les éléments d'un bon câlin, y compris la sincérité.

Traduit par François Camus
Lire le texte original en anglais ici

En 2017 j'ai souligné mes 20 ans en tango en écrivant une série de 20 articles, ou leçons que j’ai apprises dans, à travers, ou au sujet de cette danse complexe, élégante et passionnée. Voici ma deuxième « leçon ».

Leçon No. 2 : L’étreinte est tout. La première chose qu’on ressent quand on se rencontre sur la piste de danse pour une tanda, c’est l’étreinte ou l’abrazo. Dès ces premiers instants où l’on enlace et qu’on se fait enlacer par un/e partenaire, on découvre beaucoup de choses au sujet de cette personne en tant que danseur (et aussi comme personne, mais c’est un sujet pour un autre article) : s’il ou elle est confiant ou anxieux, contrôlant ou attentionné, intense ou réservé, concentré sur les pas ou sur la connexion. On peut ressentir le niveau d’habileté globale de notre partenaire, dès ces premiers instants fugaces, avant même de faire le premier pas.

L’étreinte au tango est essentiellement synonyme de connexion, et l’on sait déjà que le tango est une question de bonne connexion. C’est par l’intermédiaire de l’étreinte qu’on ressent tout, c’est elle qui nous permet de guider ou d’être guidé.

Évidemment, abrazo signifie littéralement faire un câlin ou serrer dans ses bras. Conséquemment, notre abrazo devrait inclure tous les éléments d’une bonne accolade : elle devrait envelopper notre partenaire, et le ou la tenir confortablement sans être imposante, restrictive ou autrement inconfortable, et elle devrait toujours être ressentie comme sincère.

Si l’étreinte est inadéquate – qu’elle tire, pousse, ou restreint, qu’elle est exagérément tendue ou trop relâchée – peu importe le nombre de belles figures ou d’embellissements complexes que vous exécuterez, ça ne donnera pas de sensations agréables à votre partenaire. Par contre, si votre étreinte est bonne, vous n’aurez pas à faire beaucoup pour que ce soit un plaisir de danser avec vous.

Au plan technique, voici comment j’utilise ma propre étreinte et ce que je dis à mes étudiants : utilisez davantage vos mains et moins vos bras. Vos bras doivent être souples et légers et vos articulations – poignets, coudes, épaules et omoplates – doivent conserver leur mobilité. Mais vos mains, particulièrement la paume de vos mains, devraient être actives, tenant votre partenaire de façon à bien le ou la ressentir, tenant au-delà de la surface des vêtements ou même de la peau, épousant la forme de la partie du corps avec laquelle elle est en contact. Le dos doit aussi être actif. Les muscles de la partie supérieure du dos devraient faire descendre vos épaules et vos omoplates, permettant à vos bras d’être détendus sans être mous. Cette technique vous permettra aussi d’avoir une étreinte adaptable. Le tango est beaucoup une question d’adaptabilité, et notre étreinte doit s’adapter à chaque partenaire et à chaque mouvement. Si nos bras sont souples et nos articulations mobiles dès le départ, l’étreinte s’adaptera d’elle-même sans effort. Finalement, mettez la même énergie dans les deux mains. Ceci n’est pas nécessairement facile à faire à cause de la nature asymétrique de l’étreinte du tango, mais l’équilibrage des deux mains peut être une solution miracle à trop de tirage ou de poussée de part et d’autre.

Plusieurs enseignants disent, et je le disais aussi : « Gardez votre cadre ». Je ne le dis plus parce que je crois que ce n’est pas bien interprété. Premièrement, dans un effort pour maintenir le cadre on a tendance à devenir trop rigide. Deuxièmement, la forme spécifique de l’étreinte a moins d’importance que son mode de fonctionnement. C’est pourquoi nous devrions pouvoir danser autant dans une étreinte de pratique, une étreinte fermée, une étreinte ouverte, ou même avec un seul bras ou sans les bras. Si on s’attarde trop à la forme exacte – l’angle des coudes, la hauteur des bras, la position exacte de la main dans le dos du partenaire – nous devenons trop centrés sur nous-mêmes et sur la forme, et en bout de ligne nous bloquons une partie des messages qu’on tente de transmettre ou de recevoir. Nous devrions plutôt tenir notre partenaire avec des mains fermes et des bras souples et légers, découvrant un juste équilibre entre ferme et souple, réceptif et communicatif, utilisant notre abrazo pour être avec notre partenaire et pour le ou la ressentir, pas pour nous tenir droit, contrôler, restreindre, tirer ou pousser. Ce que je peux dire à la place de « maintient ton cadre » c’est  « maintient le cadre de ton/ta partenaire ». Ainsi, vous utiliserez votre étreinte pour prendre soin de votre partenaire, lui permettre de bouger tout en lui donnant des points de référence stables et utiles, lesquels lui permettront de maintenir son axe et son équilibre tout en lui permettant de vous guider ou de vous suivre avec aisance… et, ce qui est le plus important, de se sentir bien.

L’étreinte pourrait bien être l’élément le plus important de notre danse.

Mais encore, la posture est aussi très importante.

Prochain article : Leçon No 3 : La posture est tout

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