Traduit par André Valiquette
Lorsqu’on
enseigne le tango, qu’on l’étudie ou simplement lorsqu’on en parle, on est
amené à comparer cette dance à bien des activités : la conduite
automobile, différents sports, l’architecture, les relations humaines – mais
l’analogie que je préfère associe le tango au langage. Je n’invente rien, je
remarque que c’est ce qui me vient le plus souvent à l’esprit et je crois
simplement que c’est la meilleure comparaison.
D’abord,
le tango est sans nul doute une forme de communication. C’est une
conversation... non verbale, entre deux personnes. Le guide engage la
conversation, la guidée répond et le guide réagit à cette réponse. Comme dans
la communication verbale, les meilleurs communicateurs sont ceux qui font preuve
de capacité d’écoute. C’est vraiment plaisant de guider des danseuses qui
attendent les indications du leader, qui captent les subtilités des mouvements
et qui prennent le temps et l’initiative de s’exprimer dans leur réponse. Et
réciproquement, les guides qui accordent cette attention à leurs partenaires,
qui leur laissent le temps de s’exprimer et de compléter un mouvement avant
d’en suggérer un autre sont très prisés.
De plus,
au même titre que dans la communication verbale, interrompre son interlocuteur
est impoli. Pour les leaders, ce serait l’équivalent de ne pas laisser sa partenaire
compléter un mouvement avant de guider le suivant. Pour les guidées, ce serait
d’anticiper le mouvement suivant et ne pas attendre les indications. Si je vous
interromps lorsque vous me parlez, je suis en fait en train de vous dire que ce
que vous dites ne m’intéresse pas ou n’est pas aussi important que ce que je
m’apprête à dire. C’est la même chose sur le plancher de danse.
Ce qu’il
y a de merveilleux dans le genre humain, c’est que nous sommes tous différents
et que nous nous exprimons donc différemment. Donc, il n‘y a pas une
conversation qui est identique à une autre. Pour ce qui est du tango, il faut
non seulement comprendre cela, mais l’intégrer à sa pratique. Chaque guidée
répondra différemment à une indication et chaque leader répondra autrement à la
réaction de sa partenaire. Et ainsi va la conversation.
Bien sûr,
le niveau d’expertise d’un danseur a beaucoup à voir avec sa capacité d’aller
loin dans l’expression de soi. Ce qui m’amène à aborder un autre aspect de la
similitude entre le tango et le langage : le processus d’apprentissage.
Vous devez apprendre l’alphabet avant de pouvoir écrire de la poésie, que ce
soit en français, en anglais, en espagnol ou... en tango. Quand nous enseignons ou apprenons cette danse, nous
commençons généralement avec quelques simples phrases, un cuadrado, un pas de
base sur huit temps, des ochos avant et arrière dans des figures de base, mais
au bout du compte, les danseurs ont besoin d’aller au-delà des séquences toutes
faites et d’apprendre à créer les leurs. Sinon, ils ne continueront qu’à seulement
imiter leurs professeurs ou d’autres danseurs plutôt que d’apprendre à
s’exprimer. Dans ce sens, il est important d’apprendre les rudiments du tango
correctement et ne pas se laisser fasciner par les figures impressionnantes ou
sophistiquées (ni par des mots ronflants ou des formules percutantes). Si nous
prenons le temps d’apprendre et d’assimiler les règles de base, alors quand
viendra le temps d’aller au-delà de ces règles et d’écrire de la poésie, ce
sera très beau.
Pour la
majorité d’entre nous, le tango n’est pas une langue maternelle, c’est plutôt
une langue seconde. Comme pour tout langage, notre facilité à le danser dépend
de quand, où et comment nous l’avons appris. Si nous voulons maîtriser un
nouveau langage, la meilleure technique reste l’immersion. Alors, ce sera très productif
de pratiquer ce langage régulièrement avec des gens différents qui le maîtrisent
bien. De plus, apprendre les concepts fait partie de l’apprentissage et permet
d’apprendre les règles et de parler correctement. Donc, prendre des leçons,
participer régulièrement à des prácticas et à des milongas et danser avec
différents partenaires vont faire évoluer le danseur.
Se rendre
à Buenos Aires pour une immersion est un choix tentant, mais non nécessaire pour apprendre le tango argentin, tout comme il n’est pas nécessaire d’aller en
Espagne pour apprendre l’espagnol. Tout ce qu’il faut, c’est d’être là où la
langue est parlée – ou bien là où le tango est dansé, et cela, fréquemment et à
un bon niveau. Alors Montréal, Paris, Istanbul et bien d’autres villes autour
du monde offrent une qualité de tango qui vous permet de l’apprendre et de le
maîtriser, à un niveau aussi avancé que vous le voudrez. Sans oublier qu’étudier
l’histoire (d’une langue ou du tango), se familiariser avec sa culture et
visiter son lieu de naissance donneront de la profondeur et de la perspective à
cette initiation.
Maintenant
une remarque pour les tangueros ou tangueras avancés (et les locuteurs d’une
nouvelle langue) : pour aider les débutants qui commencent à apprendre ce
nouveau langage, laissez les professeurs donner leurs leçons et organiser le
programme. Imaginez un instant que vous teniez une conversation avec quelqu’un
et que cette personne vous interrompait sans cesse pour corriger votre
prononciation, suggérer une expression différente, ou vous indiquer comment
mieux exprimer vos pensées! Peut-être que ce partenaire apprendrait un peu à
partir de vos conseils, mais ce ne serait pas très agréable. Tout ce que vous
devez faire pour aider les débutants à évoluer, c’est de parler – je veux dire
danser – lentement et lisiblement pour être sûr d’être compris. Ils vont
apprendre de vous – avec plaisir.
Souvent
quand des gens me demandent des informations sur nos cours et qu’ils dansent
déjà d’autres danses – ballroom, salsa, swing – ils espèrent ne pas avoir à
tout réapprendre depuis le début, vu qu’ils savent déjà danser. Là encore, je
suggère de revenir à cette comparaison entre le tango et l’apprentissage d’une
nouvelle langue. Si je parle déjà anglais et que je veux apprendre le russe,
est-ce que ça a pour conséquence que je devrais m’inscrire tout de suite à une
classe intermédiaire de russe? Bien sûr que non! Toutefois, si je parle déjà
deux ou trois langues, il y a de bonnes chances que je puisse en apprendre une quatrième
plus rapidement que quelqu’un qui n’a jamais fait cette expérience auparavant.
Les gens qui dansent d’autres danses apporteront probablement un sens de la
musicalité plus aiguisé, une meilleure conscience corporelle et plusieurs
autres habiletés qui peuvent accélérer leur apprentissage, mais ils auront
quand même besoin de commencer par le début.
Tout
comme pour le langage ou quoi que ce soit que nous voulons apprendre, il y a
des gens qui ont un don pour assimiler rapidement, mais en travaillant fort, en
s’appliquant et en pratiquant sans relâche, tout le monde peut apprendre le
langage du tango. Certains peuvent être poètes naturellement, alors que
d’autres vont tout juste réussir à communiquer.
Alors
que veut dire maîtriser le langage du tango?
Une fois
que nous avons appris à marcher avec un partenaire, face à face, nous
communiquons déjà à un niveau élémentaire, mais convenons que nous avons besoin
d’un vocabulaire un peu étendu et d’une certaine aisance pour l’exprimer avant qu’on
puisse se dire qu’on danse vraiment le tango.
Par
ailleurs, prononcer des mots compliqués ou en mode superlatif n’est pas la
marque d’un grand communicateur. Il est préférable de se servir de mots – ou de
mouvements – que notre partenaire peut comprendre et suivre plutôt que
d’essayer de l’impressionner avec un vocabulaire qui passe droit par-dessus la
tête. On peut connaître des mots rares, mais il est important de s’en servir au
bon moment et avec les bonnes personnes.
En résumé,
il y a plusieurs points à considérer : de bonnes qualités d’écoute, un
désir et une capacité de s’exprimer, des techniques de base, une compréhension
approfondie des règles – et de savoir quand les oublier – un vocabulaire étendu
et choisi soigneusement, une attention et un respect pour les capacités de
notre partenaire... maîtriser un langage signifie plus que d’en connaître la
syntaxe : nous avons besoin de saisir les règles et la structure, mais
aussi de libérer notre expression de soi avec fluidité et éloquence; nous
devons aller au-delà des prescriptions du langage et développer nos talents de
communication et notre créativité.
Finalement,
nous devons nous souvenir que, peu importe comment nous parlons – ou croyons
que nous parlons – le langage du tango, nous continuons toujours à apprendre.
Personne ne connaît tous les mots du dictionnaire et, par ailleurs, la langue
évolue continuellement et en conséquence... tiens, ce sera le sujet d’un
prochain texte!
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