Tuesday 10 November 2015

C’est agréable d’être important, mais c’est plus important d’être agréable

Traduit par André Valiquette
Lire la version originale en anglais ici.

Quand une nouvelle venue reste assise toute la soirée en attendant d'être invitée,
les habitués ne savent peut-être pas ce qu'ils manquent.
Récemment, je me suis dit que notre communauté de tango, chez nous, aurait avantage à prendre à coeur la proposition mise de l’avant dans ce titre.

Une publication Facebook récente d’un danseur de notre région a déclenché une discussion passionnée pour avoir critiqué les organisateurs et les danseurs (particulièrement les danseurs masculins) de ne pas être plus ouverts à danser avec les nouveaux venus. Il pensait particulièrement aux touristes qui, peut-être, dans certaines milongas, ne reçoivent pas un accueil aussi chaleureux que possible, et la discussion a été relancée pour aborder le problème des nouveaux danseurs de quelques milongas et de ceux qui ne se sentent pas bien accueillis parce qu’ils ne font pas partie de la “crème” de telle ou telle milonga ou communauté. Ce n’était pas la première fois que ce danseur avait fustigé des danseurs pour avoir été trop exclusifs dans leurs invitations.

Beaucoup de danseurs ont commenté son point de vue, pour l’appuyer ou en rajouter, mais d’autres ont fait remarquer que le tango est une activité sociale que nous faisons par plaisir et que, donc, on ne devrait pas se sentir forcés de se taper des danses avec des gens avec qui on n’a pas envie de danser. Je suis d’accord que si un danseur est vraiment insupportable, nous avons toutes les raisons et le droit de nous en tenir loin, mais est-ce bien dans la catégorie “pénible” qu’on devrait ranger tous ceux qui sont juste dans la moyenne, ou sous notre propre niveau, ou encore débutants? Plusieurs de ces réactions font vraiment égocentriques, débordantes de “je-me-moi”. Oui, nous dansons le tango pour avoir du plaisir et nous amuser, mais c’est aussi une activité sociale qui s’inscrit dans une communauté et quand on danse, eh bien, on est deux. Alors, la joie, la satisfaction et le plaisir des autres ne devraient-ils pas être aussi importants que le nôtre?

La maxime que j’ai utilisée comme titre de ce billet, “C’est agréable d’être important, mais c’est plus important d’être agréable”, a été attribuée à beaucoup de gens, le plus souvent à l’homme d’affaires américain et milliardaire John Templeton, un des plus généreux philanthropes de l’histoire, et je crois que plusieurs d’entre nous auraient avantage à intégrer à notre pratique personnelle du tango un peu plus de cette générosité.

En contrepartie, il est important de se rappeler que le manque de générosité ne se vit pas qu’au masculin. Cela peut sembler le cas si on pense aux femmes qui attendent toute la soirée d’être invitées et ça a vraiment l’air de cela dans les milongas où les femmes sont en surnombre par rapport aux hommes, ce qui est souvent le cas. Mais les femmes peuvent être tout aussi sélectives, centrées sur elles-mêmes et égocentriques.

Récemment, mon partenaire et moi-même donnions une minileçon gratuite à des débutants pendant une milonga également gratuite, en plein air, que nous organisons chaque été. Il y avait deux jeunes hommes qui voulaient participer, mais ils n’avaient pas de partenaires. Mon partenaire a demandé à une femme que nous connaissons tous les deux et qui ne dansait pas à ce moment-là, si elle pouvait aider quelques minutes en dansant avec un des débutants. Sa réponse : “ Jamais! ” Je ne suis pas sûre si cela voulait dire qu’elle ne désirait jamais nous aider ou qu’elle n’aiderait jamais un débutant, mais de toute façon, pourquoi ne voudriez-vous jamais encourager un nouveau danseur? Son attitude n’aurait peut-être pas dû me surprendre, parce que cette même personne, après deux ans de cours, avait annoncé de façon arrogante, en ma présence, qu’elle ne prendrait plus de cours. Vu qu’elle était arrivée à un point où elle avait apparemment appris tout ce dont elle avait besoin, elle n’était pas intéressée à en aider d’autres à avancer.

C’est, à mon sens, un exemple extrême d’une attitude déjà trop répandue.

Une autre femme qui fréquente nos milongas levait les yeux au ciel en me regardant, juste après avoir refusé une danse, et disait: “ Pourquoi devrais-je me forcer? ” Je n’ai rien dit, j’ai seulement souri poliment, et je crois qu’elle a réalisé ce qu’elle avait laissé échapper, parce qu’elle a immédiatement essayé de se justifier en ajoutant, “ Je veux dire, tu es obligée de le faire parce que tu es une professeure, moi je n’ai pas à le faire ”.

Je n'étais pas impressionnée par son attitude, mais je dois admettre qu’elle m’a fait réfléchir. Est-ce que parfois je m’impose de danser avec un étudiant parce que c’est mon intérêt de leur faire plaisir? Oui, je suppose que ça arrive. Mais c’est aussi mon intérêt de ne pas me limiter à être une femme d’affaires, mais également une professeure – parce que je veux que mes étudiants pratiquent et se sentent encouragés – et une personne humaine – car j’essaie d’être une bonne personne qui se soucie du bien-être de mon entourage.

L’attitude qui consiste à ne pas “perdre notre temps” en dansant avec quelqu’un qui n’a pas notre niveau me semble inappropriée sur plusieurs plans. Premièrement, nous pouvons nous améliorer et, oui, même avoir du plaisir avec quelqu’un qui “n’a pas notre niveau”. Deuxièmement, est-ce vraiment une perte de temps que de contribuer à la joie et à l’avancement des autres?

Dans quelques communautés de tango, les gens ne dansent pas avec les nouveaux venus jusqu’à ce qu’ils les aient vus danser avec quelqu’un d’autre. Vous voyez, pour être sûrs qu’ils sont assez bons. Quand même, nous ne voudrions pas qu’un “bon” danseur, “cool” ou “populaire” nous voie danser avec quelqu’un qui est sous notre niveau, ce qui pourrait nous faire mal paraître et ternir notre réputation. Cette attitude empeste le snobisme et la suffisance. Est-il vraiment plus important de bien paraître que de contribuer à ce que des nouveaux se sentent bien accueillis? Et quel est le problème avec le fait de prendre ce risque de temps en temps? J’ai pris ces risques en acceptant de danser avec des gens que je n’avais pas observés auparavant. Cela veut dire que, de temps en temps, j’ai passé 12 minutes inconfortables. Mais j’ai aussi eu de délicieuses surprises et eu accès à des connexions nouvelles, formidables.

Dans la danse elle-même, la générosité est l’une des qualités essentielles d’un bon danseur, homme ou femme, guideur ou guidée. Les meilleurs danseurs qu’on peut rencontrer sont ceux qui s’oublient et font passer leur partenaire en premier. En d’autres mots, ceux qui modèrent leur ego et dansent avec générosité. Les gens qui ont un esprit généreux font passer les autres avant eux-mêmes; les danseurs de tango avec un esprit généreux font passer le plaisir de leur partenaire et leur bien-être avant le leur. Et la balle leur est retournée au bout du compte, car un danseur avec des partenaires heureux est sans aucun doute un danseur comblé.

Si, vraiment, vous êtes meilleur que les autres (SVP, surveillez votre ego quand vous vous autoévaluez), alors pourquoi ne pas leur offrir le plaisir et le bénéfice de votre expérience pour quelques minutes? Encore une fois, je ne suis pas en train de dire que nous devrions nous forcer à danser avec quelqu’un avec qui cela s’annonce vraiment difficile ou avec une personne désagréable, mais plutôt qu’une danse occasionnelle avec une personne nouvelle ou moins expérimentée peut générer des retombées positives à long terme. Cela peut les encourager à persévérer dans le tango ou à travailler plus fort pour améliorer leur danse, et nous aurons contribué à élargir la communauté du tango dans son ensemble tout autant que nous aurons apporté du plaisir et des compétences à un danseur en particulier.

La plupart des gens qui dansent le tango à un niveau avancé prennent cette activité au sérieux. Si cela nous amène à travailler fort pour améliorer nos compétences, cela nous permettra d’être de meilleurs danseurs et contribuera à l’évolution de notre danse elle-même. Mais tout en continuant de prendre notre art au sérieux, il est important de ne pas se perdre et de ne pas se prendre trop au sérieux. Rappelons-nous que nous sommes tous là pour avoir du plaisir, et pour partager ce plaisir.

Nous pouvons retirer beaucoup en aidant quelqu’un d’autre. Et il nous reste bien peu lorsque nous devenons égoïstes. L’égoïsme entrave notre capacité d’apprendre, alors que la générosité génère de l’ouverture d’esprit, une attitude qui facilite l’apprentissage, la croissance, et notre amélioration et celle de nos partenaires, pour nous donner, en bout de piste, plus de plaisir.

Saturday 10 October 2015

Alors, vous croyez que vous êtes trop avancés pour le groupe...

Traduit par André Valiquette

Quand vous essayez d’apprendre le tango, un peu de conscience de soi peut vous amener loin. C’est vrai, tant pour les hommes que les femmes, les guideurs que les guidées. Les sentiments de supériorité qui se manifestent peuvent se présenter différemment selon les sexes et les rôles, mais ils existent bel et bien des deux côtés.

Dans la dernière année, plus d’une étudiante m’a approché avec une plainte dans ce genre-ci : « Je crois que je devrais être intégrée à un niveau plus élevé parce que je n’arrive pas à suivre un seul leader de ma classe actuelle, alors que je n’ai aucun problème lorsque je danse avec le professeur. »

J’ai tendance, personnellement, à être plus diplomate qu’il ne le faudrait pour répondre à ce type de remarques. Ce que je devrais peut-être faire est de placer sur-le-champ l’étudiante à un niveau moins avancé, mais je mets plutôt mon agacement de côté et je choisis la façon la plus avenante de lui expliquer que, en réalité, si on est capable de ne suivre que le professeur, cela ne signifie pas qu’on est trop avancée, mais plutôt qu’on ne l’est pas assez.

Le professeur peut vous guider, comme il réussit à guider tout le monde. À titre de professeurs, nous sommes habitués de danser avec des gens de différents niveaux et nous savons comment nous ajuster et compenser les lacunes de nos partenaires. Si les seules personnes qui peuvent vous guider sont vos professeurs, c’est parce que vous ne donnez pas votre juste part. Vous n’êtes pas assez réceptive pour lire au-delà des signaux les plus clairs, les plus évidents. Ou bien vous manquez de force ou d’équilibre pour vous tenir fermement sur vos deux jambes et vous dépendez de votre partenaire pour rester stable. Ou encore vous devez assimiler comment votre corps devrait réagir et compléter un mouvement, du point de contact jusqu’au torse, aux hanches et aux pieds. Ou, plus probablement, toutes ces interprétations s’appliquent.

Si vous pouvez seulement guider le professeur, 
c’est davantage un révélateur de votre propre niveau 
plutôt que de celui de vos partenaires.

Les plaintes des leaders tournent autour du nombre de « mouvements » qu’ils croient devoir apprendre. Eux aussi adoptent souvent les danseuses les plus faciles à guider ou les plus avancées du groupe, ce qui peut se comprendre, mais une fois encore, si vous pouvez seulement guider le professeur, ou les guidées les plus expérimentées du groupe, c’est davantage un révélateur de votre propre niveau plutôt que de celui de vos partenaires.

Comprenez-moi bien, je ne veux insulter personne, tout un chacun est concerné par ces questions qui font partie du cheminement normal des danseurs, à divers niveaux ou degrés selon les individus. Mais il est important de reconnaître, pour nous-mêmes, que nous avons besoin d’y travailler, et que nous pouvons le faire, quelle que soit la personne avec qui nous dansons. En fait, nous sommes amenés à travailler plus fort sur notre propre technique quand nous dansons avec des partenaires moins avancés, parce que si nos partenaires sont vraiment bons, ils assument leur bonne part du travail, compensent nos insuffisances et peuvent nous amener à relâcher notre technique.

Donc, il est important de faire la différence entre être capables de danser avec certains genres ou niveaux de danseurs et avoir du plaisir à danser avec eux.

Même si, règle générale, je vais trouver plus facile et plaisant de danser avec un partenaire expérimenté, je peux suivre n’importe qui, sans pour autant négliger ma posture ou ma technique.


Plus vous êtes vraiment avancés, 
plus facile ce sera pour vous 
de danser avec qui que ce soit. 

Après avoir enseigné le tango pendant 15 ans, je peux vraiment dire que les étudiants qui se plaignent à propos du niveau des autres participants dans la classe ne sont jamais les étudiants les plus avancés du groupe. Ceux qui ont déjà une très bonne technique, ou qui comprennent l’importance d’une bonne technique, ne blâment pas les autres étudiants pour leurs fautes ou leurs faiblesses. Ils comprennent que c’est la responsabilité de tout un chacun d’améliorer son propre niveau de danse. Plus vous êtes réellement avancé, plus vous êtes capables de danser avec qui que ce soit.

C’est trop facile de blâmer nos partenaires. Je constate cela chaque jour, et je crois que tout le monde est tombé dans ce travers au moins une fois.

Chez les leaders, cette attitude se manifeste le plus souvent par des leçons ou des explications à nos partenaires à propos de mouvements qui n’ont pas fonctionné plutôt que d’essayer d’améliorer nos propres compétences pour guider. Chez les guidées, nous retrouvons l’attitude que les leaders sont là pour « nous faire danser », ce qui porte à la passivité et à la dépendance. Nous avons tous besoin de prendre nos responsabilités pour notre danse et la meilleure façon d’y arriver est de consolider nos connaissances de base et de pratiquer en solo certains mouvements. Si, par exemple, je ne peux conserver mon équilibre lorsque j’exécute seule un ocho arrière, comment pourrais-je y arriver avec un partenaire sans m’y accrocher comme si j’allais couler? Mon équilibre, mes pas, mes pivots et mon axe sont ma responsabilité, pas celle de mon partenaire.

J’ai commencé à écrire ce billet il y a quelques mois, après une conversation avec une étudiante qui exprimait son insatisfaction devant le rythme trop lent du cours qu’elle suivait. Premièrement, j’ai été surprise de son commentaire, car elle faisait partie des guidées qui s’étaient démenées très fort pour mieux maîtriser des techniques relatives à l’équilibre, à la force et à la dissociation. À titre d’exemple de ce sur quoi elle pourrait travailler, je lui ai indiqué une erreur technique bien précise que j’avais été amenée à corriger chez elle plus d’une fois dans les dernières semaines, ce à quoi elle m’a répondu qu’elle le faisait correctement auparavant, mais qu’elle avait régressé au contact de quelques leaders dans le groupe. Ce rejet de la responsabilité sur son partenaire – et le déni de ce qui s’était vraiment passé – a continué pendant des semaines, et ce n’était bien sûr pas la première fois que j’ai constaté cette attitude.

C’est bien d’être satisfaits du niveau où nous sommes rendus, 
aussi longtemps que nous ne laissons pas nos egos 
prendre le dessus sur nos habiletés en danse. 


Ensuite, il y a les danseurs qui croient qu’ils n’ont plus rien à apprendre. C’est une chose de faire une pause avec les cours ou même de décider qu’on ne veut pas aller plus loin dans notre apprentissage du tango. C’est tout autre chose de penser qu’on sait tout cela et que les cours à venir représenteraient une perte de temps. Dans les sports comme dans le monde des arts, ce sont les professionnels qui s’entraînent le plus intensément, en s’efforçant toujours de s’améliorer ou de rehausser leur savoir-faire, alors comment une poursuite de l’apprentissage pourrait-elle être une perte de temps pour un amateur? Les danseurs de tango qui continuent à danser, mais cessent d’apprendre, quelque part entre le niveau intermédiaire et avancé, sous-estiment souvent l’importance d’une bonne technique. Ils arrivent à un point où un bon nombre de danseurs dansent volontiers avec eux, donc ils ont du plaisir dans les milongas et ne sentent pas le besoin d’aller plus loin dans leur apprentissage.

En fait, on apprend aussi sur le plancher de danse des milongas : sur le plan de la polyvalence, des facultés d’adaptation et des capacités de navigation sur la piste. Et c’est aussi correct d’apprécier le chemin parcouru, tant et aussi longtemps qu’on reste conscient d’où on est vraiment arrivé et qu’on ne laisse pas notre ego grandir plus vite que nos compétences en danse.

Plus nous élevons notre niveau de danse, moins les maladresses techniques de notre partenaire nous affecteront. Les guidées qui restent solides sur la piste améliorent leur qualité de danse en ne se laissant pas malmener par des leaders brusques, mais aussi, elles rendent les choses plus faciles pour leurs guides, ce qui rend l’expérience de danse très agréables avec elles.


Mieux, elles n’auront pas besoin d’un guide trop fort et vont encourager leurs partenaires à conduire de façon plus légère, douce... et plus agréable. Sur le plan technique, les leaders qui ne guident pas de façon trop appuyée encouragent les guidées à répondre à des signaux subtils, et à leur tour amènent les autres leaders à guider de cette façon. Et ainsi de suite : en améliorant notre propre technique, nous encourageons nos partenaires à faire de même, et tous deviennent plus agréables dans la danse, reçoivent plus d’invitations ou d’acceptation et ont plus de plaisir à danser le tango!

Avant de nous surestimer – et par le fait même de sous-estimer nos partenaires –, nous devons toujours chercher ce que nous pouvons améliorer pour nous-mêmes. Si les deux côtés s’en tiennent à cela, nous ferons chacun notre part et nous nous rencontrerons à mi-chemin pour savourer la connexion, la musique et la conversation qu’est le tango. Souvenons-nous-en, nous dansons avec les bons danseurs pour les apprécier et non pas pour dépendre d’eux.

Finalement, si nos partenaires ne sont pas responsables de nos erreurs, ils ne sont pas responsables non plus de nos succès. Alors, nous pouvons être contents de nous-mêmes et nous sentir fiers lorsque nous savons que nous avons bien dansé.

Friday 14 August 2015

Un guide de l’étiquette dans les milongas

Traduit par André Valiquette
Read the original English version here.

Si vous commencez à publier dans le domaine du tango, à un moment donné, vous avez envie de produire votre guide sur l’étiquette du tango. Voici le mien!
 
Il y a une bonne façon d'entrer dans la milonga, d'inviter quelqu'un et de prendre sa place sur la piste de danse.
EN TOUTES CIRCONSTANCES

Les règles universelles de la courtoisie et des bonnes manières s’appliquent aux milongas. L’objectif des codes de conduite n’est pas de limiter la liberté des gens ou de les contrôler, mais, au contraire, de s’assurer que tous puissent passer un moment agréable et pas seulement une petite minorité. Au-delà des règles consensuelles de la courtoisie, du respect et des bonnes manières, il y a quelques recommandations qui s’appliquent particulièrement à la danse sociale et plus encore au tango argentin.
Les nouveaux danseurs peuvent utiliser ces conseils d’étiquette pour guider leurs premiers pas en milonga. Les autres peuvent les lire à titre de rappel, ou comme point de départ d’une discussion s’il y a des recommandations avec lesquelles vous êtes vraiment en désaccord. Je n’ai évidemment pas inventé ces codes de conduite, mais j’y suis fidèle! Enfin, à la plupart d’entre eux. J’ai aussi inclus quelques « règles » que je ne soutiens pas de tout cœur, tout en expliquant évidemment pourquoi. Comme toujours, soyez à l’aise de me donner une rétroaction!

EN ARRIVANT À LA MILONGA

Quand vous entrez dans une milonga, ou que vous avez besoin d’aller de l’autre côté du plancher de danse, contournez toujours la piste, ne la traversez pas.
Photo: Jacques Guibert
Qui inviter? Et comment?


L’INVITATION ET L'ACCEPTATION
Le cabeceo :
Ce n’est que récemment que j’ai appris à maitriser cette approche traditionnelle de l’invitation, qui ne demande qu’un contact visuel et un signe de la tête. À Buenos Aires, à peu près tout le monde l’utilise, mais pas ici en Amérique du Nord. Le cabeceo n’était pas vraiment mis en pratique à Montréal quand j’ai commencé à danser le tango à la fin des années 1990, c’est donc une découverte relativement récente pour moi. Cela dit, je crois que le cabeceo est merveilleux et présente plusieurs avantages, sans oublier quelques inconvénients.
Pour les leaders, cela permet d’éviter l’embarras de traverser la salle pour ensuite voir leur invitation rejetée devant tout le monde.
Pour les guidées, éviter le contact visuel est une façon pratique de refuser une invitation sans avoir à vraiment dire non… ou donner un prétexte (voir plus loin à ce sujet). Je crois que cette technique donne également un certain pouvoir aux femmes.
Il y a des gens qui manifestent encore de l’agacement lorsque les femmes prennent l’initiative de l’invitation, mais admettons qu’avec cette méthode, il est parfois difficile de distinguer qui invite et qui est invité. Après tout, si je désire qu’un guideur m’invite, c’est moi qui dois le regarder dans les yeux... alors, il opinera de la tête et je sourirai... à moins que ce ne soit moi qui ai souri et qu’il ait ensuite fait un signe de tête? Cela ressemble finalement à un consentement mutuel. Cette affirmation de soi, même si elle est toute en douceur, n’est pas toujours aisée pour celles qui se définissent comme timides, mais si nous maitrisons cette technique, nous pourrions du même coup éventuellement surmonter un peu cette timidité.
Bien sûr, aucune méthode n’est à l’abri des dérapages. La principale réserve adressée au cabeceo est qu’il peut causer de la confusion. Si la piste de danse est vaste, peu éclairée ou très encombrée, il peut être difficile de déceler « qui regarde qui », donc lorsque quelqu’un fait un signe en direction de notre table, ce pourrait être malaisé de distinguer qui est visé. Chers danseurs, si vous lancez une invitation à quelqu’un et que c’est une autre personne, à ses côtés, qui l’accepte, la réaction polie et élégante est de danser avec la personne qui a accepté, en espérant que vous saurez mieux viser la prochaine fois!
 

L’invitation verbale :
Tout en prônant un usage plus fréquent du cabeceo, je crois qu’il y a plusieurs situations où il est tout à fait approprié d’inviter quelqu’un verbalement. S’il arrive que vous soyez immédiatement à côté d’une autre personne que vous voulez inviter, il est plus simple d’utiliser la parole. Si vous êtes en conversation avec quelqu’un et qu’une tanda qui vous plaît se fait entendre, bien sûr, vous pouvez lui faire une invitation verbale. De plus, vu que le cabeceo ne fait pas encore partie de la tradition à Montréal ou sur le continent nord-américain, comme c’est le cas à Buenos Aires, ce n’est pas tout le monde qui sait comment l’utiliser, donc, ce n’est pas évident de généraliser son emploi.

Leaders, ce que vous devez savoir :
Il y a de plus en plus de femmes qui ont développé un snobisme autour du cabeceo, dans le sens qu’elles vont rejeter une invitation pour la seule raison qu’elle n’a pas été faite correctement, par exemple verbalement. Par ailleurs, si vous utilisez la méthode verbale, il y a certainement quelques  règles à observer et quelques circonstances où ce n’est pas approprié  :
  • Elle est absorbée par une conversation.
    Elle a un tête-à-tête, ou bien elle tient la main de son partenaire ou elle est assise sur ses genoux. Il est évident que ce n’est pas le bon moment pour l’inviter, mais ce qui semble évident à certains...
  • Elle semble éviter manifestement votre regard.
    Quoi que vous fassiez, vous n’arrivez pas à retenir son attention. Pourquoi prendre un risque? Si ça ressemble à un canard, ça nage comme un canard et ça caquète comme un canard...
  • Elle a retiré ses souliers.
    Cela signifie que ses pieds sont fatigués et qu’elle s’accorde une pause ou qu’elle a terminé sa soirée. Ou bien c’est une façon d’envoyer ce message. Donc, à vos risques.
De toute façon, ne restez pas entre deux chaises. Si, en dépit de tous les signes mentionnés, vous tenez à faire votre invitation, allez-y et faites-la. Ne restez pas autour à hésiter et à semer une certaine gêne autour de vous.
Et, s’il vous plaît, donnez toujours un choix à la personne que vous invitez et acceptez ce choix. Si j’appuie tout à fait le cabeceo, par contre je décourage vivement ce qu’un autre professeur appelait le « grabeceo ». Ce n’est pas correct de prendre quelqu’un par le bras et de l’entraîner sur la piste sans d’abord le lui demander. Ce n’est pas aussi très élégant d’approcher quelqu’un sur le plancher de danse alors qu’elle vient tout juste de terminer une tanda avec quelqu’un d’autre.
Si vous faites une demande et qu’elle la refuse, acceptez sa réponse avec grâce; ne manifestez pas de la contrariété ou ne demandez pas d’explications. Cela va juste rendre tout le monde inconfortable – et va à coup sûr gâcher vos chances d’être mieux reçu si vous faites une demande à une autre occasion.

Guidées, comment accepter ou refuser :
Ce n’est pas un problème avec le cabeceo, et c’est un de ses principaux avantages. Étant entendu que vous devez faire un contact visuel pour inviter ou être invitée, si vous ne désirez pas danser avec quelqu’un, vous n’avez qu’à éviter son regard.
À mon sens, ce n’est pas parce que quelqu’un fait une maladresse qu’il ou elle ne mérite pas un minimum de respect. Les femmes qui se cantonnent dans le « cabeceo ou rien » disent que les gars qui utilisent la méthode verbale méritent d’être rejetés parce qu’ils ne s’y prennent pas de la bonne façon. Je crois que ce n’est pas juste de punir les danseurs qui n’utilisent pas l’approche que nous préférons. Inviter verbalement est un faux pas à Buenos Aires, mais pas ici, à tout le moins pas encore. Et même si ça l’était, est-ce impardonnable?
De toute façon, si vous choisissez d’accepter une invitation, que vous soyez une femme ou un homme, un guide ou une guidée, vous passez ensuite à la prochaine étape : le plancher de danse (voir ci-bas).
Si vous choisissez de refuser, il y a une étiquette à respecter, là aussi. Mon conseil préféré comporte deux volets : premièrement, soyez aimable. Le rejet n’est jamais agréable, et c’est plutôt rare qu’il soit justifié d’être cassant. Deuxièmement – et j’avoue que je ne m’y tiens pas toujours –, ne mentez pas. Quelles que soient les raisons de votre refus, vous n’êtes pas obligées de les donner; un simple « Non, merci » devrait suffire. Toutefois, ce n’est pas toujours facile de le faire spontanément. Beaucoup d’entre nous avons tendance à nous soucier de l’impact de notre refus, ce qui nous amène à tempérer la déception de notre refus avec une excuse – nos pieds fatigués ou quelque chose du genre. C’est correct si c’est vrai, mais le savoir-vivre commande alors de laisser passer la tanda sans danser, même si le meilleur danseur de la milonga, celui dont vous espériez une invitation depuis plusieurs semaines, vient alors vous faire la même demande.
Et alors s’ajoute la question de qui accepter ou rejeter. Bien sûr, nous dansons pour avoir du plaisir, et nous avons bien le droit de ne pas danser avec qui que ce soit. Mais j’ai quelques remarques à faire à ce sujet.
Quant à moi, mon choix est influencé par la personnalité et l’attitude davantage que par les compétences en danse ou la stricte observation de l’étiquette.
Je suis très en faveur de danser avec les débutants. Après tout, nous sommes tous passés par là, et nous nous améliorons encore lorsque nous dansons avec des danseurs plus avancés que nous. Je n’apprécie pas l’attitude de certains danseurs avancés envers les débutants. Je ne refuse pas, en général, de danser avec des gens en fonction de leurs compétences sur le plancher de danse, mais plutôt sur l’attitude et le respect de l’étiquette.
Les leaders que j’évite sont ceux qui me poussent ou me tirent et plus souvent ne font pas attention à moi, ce qui m’amène à chercher à rétablir continuellement mon équilibre. J’essaie aussi d’éviter ceux qui ne manifestent aucun respect pour les autres danseurs sur le plancher de danse, ceux qui me guident des mouvements trop amples, qui bloquent la circulation ou se déplacent dans tous les sens. Les leaders qui utilisent leurs partenaires comme bouclier ou comme une arme sur la piste sont vraiment une source de stress et rendent impossible une vraie connexion, parce que la guidée doit passer son temps et son attention à regarder par-dessus son épaule pour guider les déplacements dont le leader devrait s’occuper.
Encore pires sont ceux qui amènent leur partenaire à heurter les autres danseurs ou à carrément les bousculer, sans même s’arrêter pour vérifier si personne n’est blessé et s’excuser.
Aussi, les danseurs qui corrigent ou commencent à jouer au professeur avec leur partenaire sur le plancher de danse sont dans le haut de la liste de ceux que j’évite, comme le savent bien ceux qui ont lu mon blogue à ce sujet.
À titre de danseurs avancés, si nous acceptons de danser sans utiliser le degré de compétence comme un facteur de rejet, nous aiderons les débutants à améliorer leur niveau. Au même titre, si nous rejetons ceux qui ont une mauvaise attitude, nous en aiderons quelques-uns à améliorer leur comportement.
Pour ce qui est de mon plaisir à titre de guidée, ce que je recherche avant d’accepter ou de rechercher une invitation est, dans cet ordre : la capacité d’établir une connexion avec moi; les précautions prises pour évoluer sur la piste; la musicalité – un sens de base du rythme étant suffisant et tout ce qui adviendra de mieux sera un cadeau. Les figures originales et les mouvements amusants font évidemment partie de cette liste, à condition que les critères déjà mentionnés soient respectés.
Je me suis laissé dire que, dans certaines milongas, on tend à ne pas danser avec des gens qu’on ne connait pas avant de les avoir vus évoluer sur la piste avec quelqu’un d’autre. Vous voyez, pour être certains qu’ils sont assez bons pour nous... Après tout, nous ne voudrions pas jouer le rôle du danseur « bon », « cool » ou « branché » qui se produirait avec quelqu’un en dessous de son niveau, qui pourrait le faire mal paraître et ternir sa réputation...
J’espère que vous voyez l’ironie dans mon propos, parce que c’est une attitude que je trouve carrément ridicule.
Cela sent le snobisme et la suffisance, et je suis fière d’annoncer que ça ne se passe pas comme cela à ma milonga, où les nouveaux venus sont bienvenus, accueillis avec un sourire et, avant longtemps, avec un abrazo.
Il m’est arrivé de prendre des risques en acceptant les invitations de danseurs que je ne connaissais pas. De temps à autre, je suis déçue, pour douze minutes. Mais j’ai aussi de belles surprises et eu accès à de nouvelles et merveilleuses connexions.

L’invitation par les femmes :
Est-ce que ça se fait? Oui. Est-ce que tout le monde est confortable avec l’évolution des rôles et que les femmes prennent l’initiative des demandes? Non. Mais c’est à vous de décider ce qui vous convient.

Interrompre une tanda :
Non, vraiment. Certainement pas au milieu d’une chanson, ou même entre les pièces musicales. Comme mentionné plus tôt, ce n’est pas manifester de bonnes manières d’entraîner quelqu’un pendant la cortina lorsqu’elle n’a pas encore quitté le plancher de danse après la chanson qui vient de se terminer. Vous ne pouvez pas inviter quelqu’un qui est encore sur le plancher de danse. Point.

Demander à une autre personne la permission d’inviter :
Si vous approchez un couple qui se fréquente ou qui est marié, est-il nécessaire de demander la permission au conjoint lorsque vous invitez l’autre à danser? Plusieurs pourraient répondre par l’affirmative, mais moi je dirais non. Peut-être que c’est la féministe en moi qui parle, mais je n’aime pas sentir que j’ai besoin de demander une permission à mon conjoint pour danser avec une autre personne ou pour quoi que ce soit d’autre.
Toutefois, je comprends qu’il est important d’être attentif à la présence de l’autre personne – et cela ne s’applique pas seulement aux couples, mais à toute personne assise à notre table. Vous pouvez la saluer ou simplement lui sourire. Personne n’aime se sentir invisible ou ignoré. Et, tel que mentionné plus haut, si le couple en question est engagé dans un moment « prenant », ça pourrait être une bonne idée d’attendre. Les danseurs de tango ont avantage à bien interpréter le langage corporel sur la piste de danse, mais aussi autour de la piste.

ENTRER SUR LA PISTE DE DANSE


Quand vous intégrez la ligne de danse avec votre partenaire, faites attention à ne pas couper le chemin au couple qui sera derrière vous. À moins que vous puissiez facilement joindre la ligne de danse à plusieurs pas de distance du couple qui s’approche, faites un contact visuel avec le leader de ce couple avant de prendre votre place.
Photo : Jacques Guibert
Évitez les mouvements amples et de projeter vos pieds vers l'arrière quand la piste est pleine de monde.
SUR LA PISTE DE DANSE

La tanda :
Les tandas comprennent trois ou quatre chansons du même orchestre ou du même style.
En général, les tandas sont séparées par des cortinas, de courtes pièces musicales – pas du tango – qui durent jusqu’à une minute. Normalement, on s’attend à danser toute une tanda avec le même partenaire. Être largué(e) au milieu d’une tanda fait très mauvaise impression. Point. Alors, sauf circonstances extrêmes, souvenez-vous qu’une tanda dure de 9 à 12 minutes de votre vie. Même si ce n’est pas plaisant, vous pouvez probablement faire contre mauvaise fortune bon cœur, passer à travers et vous rappeler de dire non la prochaine fois. Toutefois, il y a trois situations où il est acceptable d’interrompre une tanda :
1.     Les deux partenaires se mettent d’accord pour arrêter avant de commencer à danser.
2.     Une blessure ou une autre urgence survient pendant la danse.
3.     Le comportement du partenaire est tellement déplacé ou irrespectueux qu’il mérite d’être puni et humilié en public en étant abandonné au milieu d’une tanda.
La cortina nous donne l’occasion de changer de partenaire. Alors que dans les milongas les plus traditionnelles de Buenos Aires, tous les danseurs quittent la piste pendant la cortina, ici à Montréal, il est accepté d’attendre sur la piste avec notre partenaire si les choses vont bien et que nous avons convenu de danser une autre tanda. La cortina est aussi le moment de dire « Merci ». Même si nous devrions toujours remercier notre partenaire pour la danse, nous ne devrions le faire qu’à la fin de la tanda. C’est une chose qui m’a été rapportée par des danseurs débutants après leur première milonga. Ils disent naïvement « Merci » après la première chanson et sont décontenancés quand leur partenaire quitte la piste! La cortina est aussi le bon moment pour repérer votre prochain partenaire. La plupart des danseurs attendent de quelle musique jouera avant d’inviter officiellement quelqu’un, mais c’est une bonne idée de prévoir ce qui va se passer et d’agir rapidement, autrement tout le monde sera réservé avant que vous commenciez à vous manifester.

Pas d’enseignement sur le plancher de danse :
Comme tous ceux qui ont lu mon blogue à ce sujet savent, ce principe m’importe beaucoup. S’il vous plaît, éviter de donner des leçons ou de corriger votre partenaire. Mettez-vous au niveau de votre partenaire, et quand quelque chose ne fonctionne pas, essayez d’améliorer votre propre technique. Les corrections sont le lot des professeurs et devraient être réservées aux moments passés dans les cours (cela s’applique aux professeurs également).

Moins de bla-bla, plus de danse :
Règle générale, réservez les conversations pour les moments où la musique ne joue pas. Des excuses fréquentes pour des erreurs de pas sont presque aussi fastidieuses que de recevoir des corrections. Et si vous voulez parler de la pluie et du beau temps ou de comment a été votre journée, assoyiez-vous au bar.

Gardez un œil sur la circulation :

Leaders, respectez la ligne de danse, évitez de passer constamment d'une ligne à l'autre, regardez devant vous pour éviter les collisions et regardez derrière vous avant de reculer.
Guidées, suivez votre partenaire et évitez de soulever vos pieds à moins d’être certaines que vous avez la place pour le faire. Cela implique que si vous dansez les yeux fermés, vous ne devez pas soulever les pieds derrière vous. Si vos yeux sont ouverts, soyez attentive à l’espace derrière votre guideur. C’est correct de le retenir d’aller vers l’arrière si cela permet d’éviter une collision.

Préférez la qualité à la quantité!

C’est la connexion qui a de la valeur. Limitez vos mouvements amples (ganchos, boleos, salto, etc.), tout particulièrement si la piste est encombrée.
On entend dire que le tanguero qui danse sans interruption pendant trois heures d’affilée n’aime pas vraiment le tango, qu’il a juste besoin de dépenser de l’énergie, et qu’un « vrai » danseur choisit sa musique et sa partenaire – l’un entraînant souvent l’autre. Je ne suis pas certaine d’adhérer complètement à cette façon de voir. Bien sûr, il y a une distinction entre celui qui consomme tout ce qui passe et le gourmet qui agit avec plus de discernement et préfère les « meilleurs plats », mais n’oublions pas qu’ils aiment tous les deux s’alimenter! Chacun à leur façon. Tant qu’ils respectent les usages de la circulation sur la piste, pourquoi les gens devraient-ils s’empêcher de danser toute la nuit si c’est ce qu’ils veulent?

Pas de délit de fuite!

Des accidents, ça arrive. Peu importe à qui revient la faute; il est simplement civilisé de s’excuser et de s’assurer que la personne concernée n’est pas blessée.

HYGIÈNE
On parle de tango. Vous allez être en contact rapproché avec pas mal de monde. Et vous voulez probablement que ces personnes aient envie d’être proches de vous. Certaines choses devraient aller de soi, mais ce n’est pas toujours le cas, alors :
... Si vous allez enlacer une autre personne, lui tenir la main, respirer très proche d’elle et toucher son visage avec le vôtre, vous devriez porter soigneusement attention à votre hygiène personnelle.
... Prenez une douche avant de danser. Portez une chemise propre. Utilisez un antisudorifique ou un désodorisant si vous en avez besoin, et c’est à vous de savoir si vous en avez besoin.
... Brossez-vous les dents avant d’arriver à la milonga et, si nécessaire, mâchez de la gomme ou sucez une pastille à la menthe.
... Si vous transpirez beaucoup et devez vous rendre à la salle de bain entre chaque tanda pour vous essuyer le visage, faites-le. Si votre chemise est mouillée après une heure, apportez-en une ou deux autres de rechange et changez-en au besoin. Beaucoup de gens le font, et c’est très apprécié par vos partenaires.

Merci de permettre à vos partenaires de tango de profiter au maximum de leurs moments de danse!

Friday 1 May 2015

Huit traits de personnalité qui feront de vous un meilleur danseur de tango



Traduit par André Valiquette
Read the original English version here.

Il est entendu que certaines aptitudes physiques facilitent l’apprentissage du tango (c’est vrai pour toutes les danses) : force, souplesse, équilibre, coordination, conscience corporelle, posture adéquate et sens du rythme, pour n’en nommer que quelques-unes.

Mais le tango se danse à deux, alors cela prend davantage qu’un port altier ou une démarche assurée pour devenir le danseur de tango qu’on s’arrache : il faut aussi acquérir des habiletés de communication interpersonnelle, qui ont plus à voir avec qui vous êtes qu’avec ce que vous pouvez accomplir.

Voici huit traits de personnalité qui vous permettront de devenir non seulement un meilleur danseur, mais aussi un partenaire extraordinaire.

Patience :

Nous savons tous que la patience est une vertu – et ce vieux dicton demeure vrai sur le plancher de danse. Nous devons d’abord être indulgents avec nous-mêmes si nous voulons apprendre à danser et le mettre en pratique. Le tango argentin est une danse exigeante qui demande beaucoup de concentration et d’entraînement. Je suis la première à dire que le tango est à la portée de tout le monde, mais nous pouvons apprendre de différentes façons et à différents rythmes, alors pour ceux qui se débattent avec cela (c’est-à-dire beaucoup de monde), l’impatience – et la frustration qui l’accompagne – est souvent une cause d’abandon.
Donc, ça ne fonctionnera pas si nos partenaires sont impatients avec nous. Ce qui veut dire qu’il nous faut être patients, pas seulement avec nous-mêmes, mais aussi avec nos partenaires. C’est un peu facile de blâmer l’autre pour les « erreurs » que l’on fait lorsqu’on danse. Avant de lâcher un soupir, rouler de gros yeux ou faire des petits commentaires agacés, nous devons nous rappeler que si nous sommes en apprentissage, ils le sont aussi.
Et c’est vrai pour chacun d’entre nous, depuis toujours. Bien sûr, c’est plus facile après dix ans qu’après dix semaines, mais nous n’avons jamais fini d’apprendre et de renforcer nos habiletés. La patience nous donne une capacité de laisser aller nos idées préconçues et de nous laisser porter par le moment présent, en passant par-dessus nos « erreurs » et celles de notre partenaire, des erreurs qui n’en étaient pas vraiment, tout juste des moments bien humains de manque dans la communication qui peuvent facilement se transformer en occasions de transformation et de créativité.
La patience va aussi nous aider à suivre la musique, et du même coup à en tirer davantage de plaisir, et d’accompagner la communauté des danseurs sur le plancher de danse plutôt que de prendre de la vitesse et de faire du slalom le long de notre ligne de danse en coupant les autres danseurs.

Confiance  :

Cette qualité n’est pas évidente, mais c’en est aussi une grande. Si nous voulons atteindre une connexion profonde, nous devons faire confiance à notre partenaire.
Pour les guides, cela signifie d’admettre que notre partenaire est capable non seulement de nous suivre, mais aussi de danser. Avoir confiance dans ces deux aspects entraîne que nous pourrons guider avec assurance et non avec hésitation, en étant clairs et en laissant notre partenaire chercher le contact avec nous et la musique. Également, si nous faisons confiance à notre partenaire, nous allons éviter l’erreur courante de « surguider ». Rappelez-vous, la responsabilité du guideur n’est pas d’amener son (ou sa) partenaire du Point A au Point B, mais de l’inviter et de lui permettre de faire ses pas.
Pour les guidées, nous devons faire confiance à notre partenaire pour guider quelque chose. Si je n’accorde pas ma confiance à mon guideur, je vais faire ce que je pense qu’il (ou elle) veut que je fasse plutôt que ce qui est vraiment guidé. Je n’ai pas besoin de savoir ce que mon leader est en train de penser, seulement ce qu’il est en train de faire. Donc, nous devons faire confiance à l’autre tout comme nous devons nous faire confiance. Si les leaders ont besoin de faire confiance aux guidées afin d’être clairs, ils ont aussi besoin d’avoir confiance en eux-mêmes, sinon, encore une fois, ils vont hésiter et transmettre cela à leur partenaire.
Pour les guidées, elles ont besoin de se faire confiance pour faire ce qu’elles ressentent et pour enchaîner un pas à la fois. Cela a l’air simple, mais trop de guidées se remettent en question constamment, se demandant, « Était-ce correct? » « C’était quoi ce mouvement qu’on vient de faire? » ou « Qu’est-ce qui s’en vient? ». Des questions inutiles à mesure qu’elles nous viennent à l’esprit. Aussitôt qu’un pas est amorcé, c’est joué et on ne peut revenir en arrière. Correct ou erroné, voulu ou non, ça ne sert à rien de vouloir en juger. Tout ce qu’un partenaire peut faire, c’est de poursuivre à partir de là, et c’est ce que le tango est censé être. Si on peut accepter cela, on va moins s’en faire et danser davantage.

Assurance :

Dans la même optique qui nous amène à nous faire confiance, l’assurance nous aidera à guider ou à suivre avec grâce et clarté et sans hésiter ou douter de nous-mêmes. Ce n’est pas toujours un trait de caractère facile à acquérir s’il ne s’affirme pas naturellement, mais cela peut venir avec le temps. Nous pouvons, évidemment, aider les autres danseurs à gagner de la confiance en eux en leur faisant confiance et en étant patients, entre autres. Et bien sûr, avec la pratique et un travail assidu vient une maîtrise grandissante de la danse, laquelle devrait mener à plus d’assurance. Lorsqu’on a conscience que l’on sait ce que l’on fait, cet état d’être se transmet à nos partenaires et les aide à nous faire confiance.
Mais nous n’avons pas besoin de beaucoup de vocabulaire ou d’années d’entraînement pour être capables de guider ou de suivre; c’est possible et encourageant d’élever son niveau de confiance à partir de la base qu’on a acquise. Les danseurs qui ont de l’assurance attirent plus de partenaires et, en retour, ils les aident à améliorer leurs capacités et à acquérir plus de confiance, ils gardent plus de partenaires réguliers, ainsi de suite.
Mais il faut distinguer la ligne de démarcation entre assurance et arrogance. Une véritable assurance à propos de ce que nous savons ne signifie pas que nous devrions croire que nous ne pouvons pas faire d’erreurs ou qu’on est meilleur que tout le monde.

Sens de l’humour :

Si nous voulons améliorer notre danse, nous devons nous y consacrer sérieusement, mais sans pour autant nous prendre trop au sérieux.
Le tango est une danse d’improvisation, donc cela ne va pas toujours selon le plan établi, et ça ne devrait d’ailleurs pas aller selon un plan établi.
Presque chaque danseur s’est déjà rendu coupable d’un mouvement d’impatience momentané envers son partenaire ou envers lui-même ou bien en s’excusant trop lorsque des « erreurs » sont faites. Plusieurs danseurs ont aussi la fâcheuse habitude de signaler chaque erreur ou d’expliquer ce qui aurait « dû » être fait.
Encore une fois, les erreurs, souvent, n’en sont pas, donc, elles n’ont pas besoin d’être mentionnées, normalement. Mais même lorsqu’une erreur de communication est flagrante et, sans conteste, maladroite, c’est du tango et on est censé le danser pour le plaisir, alors, pourquoi ne pas simplement en rire? Souriez, soyez indulgent envers votre partenaire, ne vous culpabilisez pas. Ainsi, tout le monde pourra relaxer et aller de l’avant plutôt que de repenser à des moments difficiles qui ont amené un inconfort qui pourrait perdurer lors de prochaines danses ou toute la soirée, qui autrement aurait pu bien se passer.

Passion :

C’est du tango, après tout. Il est assez rare de rester tiède vis-à-vis du tango si on s’accroche assez longtemps pour être capable de le danser. Il est communément admis que le tango est la plus complexe des danses de couple, à cause de sa position rapprochée, de son étreinte assez intime et de son caractère improvisé, alors nous avons besoin de lui consacrer pas mal de temps si nous voulons approcher un niveau relativement avancé. Une fois par semaine n’est pas assez, les leçons doivent êtres combinées avec des périodes de pratique et de danse en milongas, en fait six mois d’expérience ne sont rien. Alors, si nous avons envie de dépenser une part significative de notre temps et, oui, de notre budget dans le tango, c’est que cette activité nous passionne. Par ailleurs, la passion rehausse la qualité de notre danse au-delà de la maîtrise technique et d’un bon sens du rythme. Les spectateurs le captent et, naturellement, nos partenaires le ressentiront aussi.

Générosité : 

Les danseurs talentueux sont populaires, pour des raisons évidentes, et bien sûr, les danseurs jeunes et attirants aussi. Mais il y a un autre type de danseurs qui ont du succès : les danseurs sympathiques. Si je danse avec vous et que j’ai du plaisir, je vais sûrement chercher à répéter l’expérience, et mieux, je vais passer le mot. Beaucoup de facteurs peuvent contribuer à mon plaisir, parmi lesquels le niveau d’habileté et de sens de la musicalité, mais les danseurs qui donnent le plus de plaisir sont ceux qui font attention à leur partenaire. Si nous prenons soin de nos partenaires – en s’adaptant à leur niveau et en les faisant se sentir confortables avec leur performance, en ignorant les erreurs ou riant des petits faux pas, en n'utilisant pas les partenaires comme des boucliers ou des armes sur le plancher de danse – ils reviendront danser avec nous de nouveau. Les gens qui ont une attitude généreuse font passer les autres avant eux-mêmes; les danseurs de tango qui ont cette qualité font passer le plaisir de leur partenaire et leur bien-être avant le leur. Et cela leur est rendu, parce qu’un danseur qui rend ses partenaires heureux est à coup sûr un danseur heureux.

Une bonne capacité d’écoute : 

Dans la vie comme dans le tango, les meilleurs communicateurs sont des gens qui savent écouter. Les guidées se font expliquer dès le départ qu’elles doivent suivre - ou être à l’écoute - de leur partenaire. Cela vient naturellement à plusieurs d’entre elles, et pas si facilement à d’autres. Avec le temps, les guidées apprennent que leur rôle va bien au-delà de simplement suivre et qu’elles ont avantage à s’exprimer dans la danse. C’est là que le vrai plaisir commence, mais ceux qui l’apprennent dans cet ordre – écouter d’abord et ensuite s’exprimer – deviennent les meilleures. Ceux qui « parlent » trop et écoutent peu tendent à deviner et à anticiper et n’établissent pas cette connexion qui autrement serait si agréable à éprouver dans la danse.
Quant aux guides, ils ont appris à guider, mais ce que souvent ils ne voient pas est qu’ils ont aussi besoin de suivre. Le leader invite sa partenaire à faire un pas, la laisse s’engager dans ce mouvement et ensuite l’accompagne dans son déplacement, ou, en d’autres mots, lui permet de parler et écoute ce qu’elle a à dire. Dans ce sens, le leader s’assure de permettre à sa partenaire de compléter un mouvement avant de suggérer un nouveau pas. Que penser de ces leaders très contrôlants, qui font sentir aux guidées que leur rôle est passif? Ces guides sont ceux qui n’écoutent pas. Les leaders attentifs sont ceux qui permettent à leurs partenaires de s’exprimer, d’embellir la danse, et de contribuer à dessiner la musique. Ce sont ceux qui apportent le plus de plaisir et de bénéfices à leurs partenaires, qu’elles soient débutantes ou plus avancées.

Présence :

La présence, au sens physique, est essentielle pour les danseurs de tango. Un leader passif est difficile suivre, de même qu’une guidée passive sera ennuyante. Les danseurs font souvent allusion à la « résistance » ou à la « pression » qu’ils ressentent de leur partenaire. Je n’aime pas ces deux qualificatifs, car ils sous-entendent que, d’une certaine façon, nous bloquons ou poussons nos partenaires. À mon sens, le mot adéquat est plutôt « présence » qui traduit l’idée que nous devons être vigoureux dans notre danse, tout en recherchant un échange d’énergie avec notre partenaire.
Mais il y a un autre type de présence qui est très aidante pour les danseurs de tango, et c’est l’art de vivre pleinement et complètement le moment présent. Si on pense au prochain mouvement, en ajustant notre position vers ce mouvement attendu ou bien si nous nous jugeons nous-mêmes ainsi que notre partenaire, nous ne serons pas vraiment présents et notre connexion sera pauvre. L’une des choses que je préfère en tango est de m’abandonner à la danse, peut importe ce qui vient d’arriver ou ce qui suivra. J’irais même jusqu’à dire (et je ne suis pas la première à le dire) que j’entre dans un état méditatif quand je danse le tango argentin. Ceux qui on un don pour vivre le moment présent pourront se sentir plus facilement à l’aise dans le tango, et ceux pour qui ce n’est pas inné pourront y trouver une voie pour s’abandonner davantage.

Si vous avez certaines des qualités que nous venons de discuter, vous pourrez assimiler plusieurs dimensions du tango facilement. La bonne nouvelle, c’est que le tango vous permettra éventuellement de développer certaines de ces habiletés que vous ne possédez pas naturellement, mais qui vous seront utiles pour d’autres domaines de votre vie.

(Après tout, la vie est un tango, n’est-ce pas?)

Sunday 15 March 2015

Un point de vue différent sur la musique de tango


Traduit par André Valiquette
Read the original English version here.

J’aime le tango. J’aime les mouvements, la connexion, la conversation, le sens de l'abandon et, bien sûr, la musique.

Je suis une danseuse et, comme bien d’autres avant moi, j’ai découvert la musique de tango par la danse. Pendant mes dix premières années de tango, je me suis toujours arrangée pour être sur le plancher de danse, que ce soit pour danser, pour enseigner ou pour donner une démonstration. Mais depuis que j’ai lancé ma propre école et une milonga il y a sept ans, je me suis surprise à éprouver une grande passion pour jouer le rôle de DJ. J’ai été étonnée de découvrir toute la satisfaction que je pouvais ressentir en étant assise derrière la console et en amenant les autres sur la piste.

J’aime être DJ pendant la milonga elle-même, mais j’ai du plaisir aussi à la préparer. Je prends souvent mon temps pour rechercher, rassembler ou choisir des pièces musicales – alors que je devrais m’occuper d’engagements plus pressants! Je commence par me dire que je vais seulement vérifier les dates de quelques enregistrements connus de Donato... et trois heures plus tard, je suis encore en train de télécharger, compiler, évaluer, classer ou planifier de nouvelles tandas pour ma prochaine milonga. Et j’ai ensuite ma récompense... de ressentir de la satisfaction quand la musique amène chaque danseur sur le plancher pour une belle tanda de valse, ou quand six personnes viennent tour à tour me demander des détails sur une tanda vraiment intéressante de tango alternatif.

Oui, vous m’avez bien lu : du tango alternatif. Je présente aussi de la musique alternative et je n’ai pas honte de le dire! Même si parfois j’ai l’impression que je devrais.

Ces derniers mois, j’ai pris connaissance de quelques discussions sur le web à propos de la musique alternative. Deux conversations ont été lancées par des danseurs qui remarquaient que les DJ de leur région ne présentaient pas vraiment un grand choix musical. Bon, après quelques remarques de danseurs qui avaient la même impression, les attaques ont commencé. Ce qui m’a surprise, ce n’étaient pas les différences de goût ou d’opinions entre le camp des « gardiens de la tradition » et celui des « nuevo toujours plus »; la variété des goûts est une bonne chose et n’a pas à nous surprendre. Ce qui me dérange, par contre, c’est l’attitude dédaigneuse affichée par certains qui ont un penchant « puriste » contre ceux qui apprécient aussi le courant alternatif. Sans compter le mépris exprimé par certains DJ pour le grand public des danseurs, en particulier pour les danseurs moins expérimentés.

J’ai pas mal réfléchi à ce qui me dérange dans cette posture et, aussi, pourquoi moi-même je préfère penser et danser en dehors des chemins tracés, de temps en temps.

Il m’est arrivé de lire un message d’un DJ de tango qui déclarait avec fierté n’avoir JAMAIS fait jouer une chanson demandée par un danseur. Jamais. J’étais estomaquée, parce je crois vraiment que, comme DJ, nous sommes là pour les danseurs : pour leur apprendre quelque chose, bien sûr; pour élargir leurs horizons, sûrement; mais aussi, tout simplement, pour leur faire plaisir.

Est-ce qu’un DJ devrait faire jouer n’importe quoi qui lui est demandé? Bien sûr que non. Quant à moi, je me dois de connaître une chanson et de l’apprécier pour la faire jouer, sans oublier qu’elle devrait aussi pouvoir s’insérer dans une tanda et dans l’ambiance générale de la milonga; alors ce ne sont pas toutes les demandes qui sont acceptables. Mais certaines le sont! Mieux, elles m’inspirent parfois pour renouveler des tandas, quitte à surprendre les danseurs et moi également. Et mon répertoire n’est certainement pas coulé dans le béton avant le début d’une milonga. Je tiens compte d’un cadre général, en n’oubliant pas que même le meilleur plan peut évoluer. Est-ce qu’un bon DJ ne devrait pas s’adapter à l’ambiance de chacune des milongas? N'est-ce pas pour cela qu'on a de vrais DJ, et non pas des listes de lecture préfabriquées?

Si nous dansons le tango, nous devrions aimer - ou au moins apprécier - la musique de tango. Pour ma part, j’aime la musique de tango passionnément, mais comme danseuse et DJ, j’ai envie d’expérimenter de temps en temps des rythmes alternatifs, du tango nuevo dans toutes ses variantes jusqu’au blues, jusqu’à la musique pop et d’autres genres musicaux. Le fait est que je n’aime pas seulement la musique de tango, j’aime simplement la musique. À titre de danseuse de tango qui aime une grande variété de genres musicaux, je m’amuse de voir quels sont les types de musiques que je peux danser, tout en ressentant que je danse le tango. Quels que soient mes goûts et mes envies du moment, je ressens chaque chanson différemment et c’est ce que j’exprime quand je danse. Et d’après mon expérience des milongas où j’ai été DJ, je ne suis pas la seule.

Autant je crois que tous les types de danseurs ont leur place dans le monde du tango, autant les genres musicaux ont tous un rôle à jouer. À côté du danseur expert qui a une technique sûre, il y a le danseur sans prétention qui a des mouvements entraînants et va amener toutes les femmes à vouloir faire au moins une tanda; ce danseur-là contribue à quelque chose d’important dans une milonga, en amenant un grand nombre de gens à s’amuser et à se sentir bien.

C’est le même phénomène pour la musique : quelques orchestrations contemporaines ne sont pas habitées par le souffle d’un classique de Juan D'Arienzo et Alberto Echagüe ou bien dépassent les frontières strictes du tango. Mais si elles font plaisir aux gens et les amènent à danser davantage et à s’amuser, ne méritent-elles pas un minimum de respect, tout comme ceux qui les dansent et les DJ qui osent les faire jouer?

Que vous la détestiez, la tolériez ou l’aimiez, la musique moderne de tango sert à coup sûr un important objectif : il rend la musique de tango davantage accessible au grand public. De la fusion expérimentale de groupes comme Gotan Project et Otros Aires aux orchestrations modernes du répertoire classique de groupes tels Unitango et Sexteto Milonguero, la riche sonorité de ces orquestas contemporains sont plus accrocheuses pour les oreilles non entraînées d’un danseur novice que les vinyles usés du répertoire classique. Avec 18 ans d’expérience de danse en tango argentin, je sais bien que nos goûts changent et évoluent avec le temps et que notre sensibilité aux subtilités complexes du tango de l’Âge d’or ne pourra que s’approfondir. Mais cela ne veut pas dire que tout ce qui a été réécrit après 1960 ne mérite pas plus qu’un rejet prétentieux, ou que les goûts des danseurs débutants et intermédiaires ne devraient pas être écoutés.

J’aime toujours plus les tangos classiques de l’Âge d’or et je ne me lasse pas de les connaître ou de les redécouvrir. Mais je crois aussi que le tango moderne mérite d’être diffusé dans les milongas, parce que ce sont les musiciens d’aujourd’hui qui font évoluer la musique. Tout comme les meilleurs tangueros, à mon sens, ont de solides assises techniques, mais se permettent des fantaisies de temps en temps pour surprendre et amuser leurs partenaires, les meilleures – et les plus amusantes – milongas sont basées sur le répertoire classique, avec des morceaux surprenants, de temps en temps, pour faire réagir et divertir les danseurs.

Tout au long de l’histoire, les changements et l’évolution ont rencontré de la résistance au nom de la crainte d’altérer la pureté de ce à quoi les gens étaient habitués. Mais finalement, ce qui n’évolue pas finit par mourir. Je crois que nous pouvons respecter la riche et belle histoire du tango en lui permettant de respirer, de grandir et de survivre.

Saturday 21 February 2015

Les cinq grandes connexions en tango


Traduit par André Valiquette
Read the original English version here


Le tango dansé est fondé sur la connexion. Connexion avec notre partenaire, bien sûr, mais il y a d’autres liens à explorer si nous voulons danser le tango en nous réalisant totalement, dans le plaisir.  Il y a cinq domaines où nous avons besoin d’établir une connexion approfondie dans le but de raffiner notre danse et notre expérience de celle-ci.

photo : Jacques Guibert

Connexion un : le partenaire. C’est la connexion la plus manifeste, qui fait consensus. Le vieux proverbe : « Il faut être deux pour danser le tango » est fondé sur cette évidence. Le tango est la quintessence de la danse de couple. Sans partenaire, il n’y a pas de tango.

Toutefois, cela ne veut pas dire que nous ayons besoin d’un partenaire attitré. En tango, nous visons à trouver, créer et développer une connexion intense dans un laps de temps très court. Cela fait partie de la beauté, du style et des défis du tango. Cela peut être atteint avec un partenaire attitré ou une variété de partenaires occasionnels. Ou les deux. Peut-être ce soir allons-nous danser seulement ensemble et demain soir avec la moitié des danseurs sur le plancher. Ce n’est pas un problème. Tout ce que nous faisons pendant la danse devrait être induit ou inspiré par la personne avec qui nous dansons.

Tant pour les leaders que pour les guidées, si nous sommes capables de porter attention à nos partenaires davantage qu’à nous-mêmes, nous allons nous dépasser dans notre propre rôle. Si nous pensons à prendre soin de nos partenaires, à les aider en guidant ou en suivant mieux, ou en leur donnant le temps et en étant patient avec eux, nous allons leur permettre de danser avec plus d’aisance et de plaisir. La relation en tango n’est pas linéaire, elle est circulaire, c’est un lien de réciprocité entre deux partenaires; alors, ce que nous donnons nous sera rendu. Ce qui nous amène à la deuxième connexion importante.

 
photo : Jacques Guibert
Connexion deux : soi-même. Si le partenaire, c’est ce qui compte, alors pourquoi avons-nous besoin d’une bonne connexion avec nous-mêmes? Eh bien, c’est parce qu’il y a davantage que cette relation avec le partenaire. C’est le couple qui est concerné et nous en formons la moitié. On dit qu’on ne peut pas vraiment aimer quelqu’un si on ne s’aime pas soi-même. De même, on ne peut vraiment connaître une autre personne si on ne se connaît pas soi-même.

Pour les professeurs de tango, un des obstacles les plus difficiles à surmonter dans l’enseignement auprès de certains étudiants est leur manque de conscience corporelle. Parce que le tango est avant tout une danse sociale, qui est pratiquée par beaucoup de couples d’âge moyen pour qui c’est une première expérience de danse, on retrouve finalement beaucoup de débutants qui ont peu de connaissance de leur corps. Peut-être qu’ils n’ont jamais porté attention – en étant laissés à eux-mêmes – à des dissociations qui se produisent lorsqu’ils se déplacent; peut-être qu’ils n’ont jamais pensé à la relation entre la position de leurs hanches et celle de leurs pieds et de leurs épaules; ils n’ont probablement jamais essayé de baisser leurs épaules en remontant leur coeur, tout en gardant les genoux souples et en relâchant les bras, tout cela en contact avec une autre personne... C’est déjà beaucoup de mettre en oeuvre un seul de ces conseils, particulièrement pour ceux pour qui tout cela est entièrement nouveau. Ce qui ne veut pas dire que des gens qui n’ont jamais dansé ne peuvent l’apprendre à 50 ou 60 ans. Bien sûr, ils le peuvent et plusieurs le font. Mais la conscience corporelle est un défi supplémentaire qui demande beaucoup de travail, de pratique et de patience pour être apprise. (Des disciplines comme le yoga ou le Pilates sont formidables pour élever la conscience corporelle – en plus de la force, de la souplesse et de l’équilibre – et peuvent accompagner très efficacement les leçons de tango.)

Si nous connaissons notre corps et nous nous nous connaissons nous-mêmes, nous aurons un meilleur équilibre et un contrôle plus fin sur nos mouvements. Nous serons aussi plus enclins à nous faire confiance pour guider ce que nous voulons ou à suivre ce que nous ressentons. Nous devons nous connaître nous-mêmes tout autant que nous comprenons notre partenaire. Alors, toute la question ne tourne pas autour du partenaire. Les deux termes sont importants et si nous nous préoccupons des deux, on arrivera à danser avec une grande complicité, c’est ce que nous voulons atteindre. On peut en fait présenter ces deux premières connexions en un tout : le couple, composé de deux parties distinctes et égales. Mais si on vise à se mouvoir et à respirer comme une seule entité, il reste qu’on arrive à la danse avec sa propre individualité; c’est important de ne pas être trop passif, au risque de perdre notre identité au profit de son partenaire, ni d’être trop dominant et de le laisser dans l’ombre.




Connexion trois : la musique. C’est la connexion que je préfère. La musique est vraiment ce qui me transporte. C’est elle qui inspire mes pas et mes mouvements.

Mais la musicalité est particulière dans le tango argentin. Parce que nous pouvons improviser tellement sur cette musique, parce qu’il n’y a pas de routine qui nous oblige à initier tel mouvement avec telle phrase musicale ou de marquer les temps forts avec la régularité d’un métronome, les professeurs négligent souvent de proposer volontairement des séquences de danse ajustées à des phrases musicales et, souvent, les étudiants ne tiennent pas compte du tout de la musique, disant habituellement qu’ils ont trop de choses à gérer à la fois. Mais c’est une erreur. La danse et la musique ne peuvent pas être traitées séparément. Si les étudiants prennent l’habitude de considérer la musique comme un bruit de fond, ce sera difficile, plus tard, de renverser la vapeur et d’utiliser le rythme comme un guide pour tous leurs mouvements.

Comme danseurs, nous devrions vivre et ressentir la musique au même titre que tout autre instrument, en marquant le rythme et en dessinant la mélodie. De plus, pourquoi choisir la musique de tango, ou même n’importe quelle musique? Nous dansons différemment en fonction de chaque genre musical ou de chaque orchestre – nous devrions, à tout le moins. Ce n’est pas suffisant de simplement écouter la musique et d’essayer de la suivre : nous avons besoin de laisser entrer la musique par toutes les pores de notre peau, toucher notre cœur, nous guider et faire corps avec nous. Tout comme le partenaire idéal.

 
photo : Jacques Guibert
Connexion quatre : le plancher. Ça semble aller de soi, mais c’est surprenant de constater à quel point beaucoup de danseurs n’arrivent pas à garder leurs pieds au plancher. Bien sûr, on sait tous qu’il faut être en contact avec le plancher pour marcher; nous n’avons pas vraiment le choix. Mais avec le tango, il faut aller au-delà de ce constat. Nous devons pleinement ressentir le contact avec le sol et notre connexion avec lui. Comme on pourrait le dire en anglais, « the ground grounds us ». Il nous donne un appui, de l’équilibre et de la puissance.

Nous utilisons au mieux le plancher en travaillant avec la gravité, en la laissant assouplir nos genoux et donner du poids à nos pieds, nos hanches et nos épaules, avec pour résultat de nous permettre d’être droits et élancés, en donnant de l’expansion à notre colonne vertébrale et en relevant le coeur pour garder notre axe et notre élégance. En yoga, on évoque aussi, avec la position de l’arbre, ses racines – la connexion de l’arbre au sol – qui lui permet de se ternir à la verticale sans pencher. Il en va de même pour le danseur de tango.

Le plancher nous donne de l’équilibre pourvu que nos deux pieds soient bien en contact avec lui, la jambe d’appui donnant une prise à notre axe pendant que la jambe libre élargit notre base de support et nous donne un repère. Comme les racines de l’arbre qui vont au-delà de la circonférence du tronc.

Le plancher nous donne de la puissance quand nous nous servons de notre jambe d’appui afin de propulser nos mouvements, pour marcher ou pivoter. Cette puissance donne de l’aisance à nos mouvements et un message clair à nos partenaires.

Les professeurs rappellent qu’il faut caresser le plancher, le lécher (avec nos pieds, bien sûr!), dessiner sur le plancher, être complice avec lui et le connaître intimement, y inclus chacune de ses fissures, aspérités ou cavités. Faisons tout cela, soyons familiers avec lui et cela nous aidera à être proches de nous-mêmes, de notre partenaire et de la musique.




Connexion cinq : le monde autour de nous. La dernière connexion, mais pas la moindre. En fait, elle est négligée par plusieurs danseurs.

Nous disons souvent que, lorsque ça va bien avec notre partenaire, le reste du monde n’a plus d’importance. C’est comme si on dansait dans notre bulle. Même si c’est un peu vrai, notre bulle devrait être transparente pour ne pas entrer en collision ou carrément crever la bulle des autres couples au milieu d’une tanda. Il faut donc danser avec respect, en limitant les pas hors de notre champ de vision, en évitant de suivre de trop près le couple devant nous, en n’occupant pas soudainement l’espace disponible devant un autre couple et en ne prenant pas trop de place sur un plancher bondé.

Mais plutôt que de danser autour des autres couples en les considérant comme des obstacles, nous pourrions essayer de danser avec eux. Si tout le monde faisait cela, la circulation dans les milongas serait beaucoup plus fluide, plaisante et, finalement, ce serait plus facile d’y naviguer. Le tango salón est une danse sociale, alors tous les autres danseurs sont une partie intégrante de notre art et de notre expérience. Nous devons accepter cela, et accepter que les mouvements ou les figures que nous prévoyons faire puissent changer constamment en tenant compte de ce qui se passe autour de nous. Pas facile, sans doute, mais imaginez si tous les danseurs se déplaçaient comme un ensemble, sur la même musique, le même plancher, chacun dans un corps différent et avec un partenaire différent, mais en harmonie. Ce serait euphorique.

À certains moments, ces cinq connexions peuvent ne faire qu’un : nos corps se déplaceront avec grâce et confiance, en fusionnant avec nos partenaires et la musique, pleinement connectés, supportés par le plancher et en harmonie avec ceux qui nous entourent pour une expérience sublime qui nous transporte et nous rappelle pourquoi nous aimons tant cette danse.